Tourbillons ibériques : Pedro Almodovar, Carlos-Ruiz Zafon

Ombreduvent

A peine remise du spectacle des  « Etreintes brisées » d’Almodovar, remarquable enchevêtrement de passions humaines et castillanes, je tombe par hasard, comme c’est souvent le cas, sur un livre dont le titre, magique, m’invite à la lecture. Sans doute vais-je apparaître bien naïve aux yeux des hispanistes, et peu « actuelle » aux yeux des autres, mais la culture ibérique m’est,  je l’avoue,  presque étrangère : je n’en connais que les  grandes lignes. Quant à la nouveauté, elle n’a ici aucun sens : les bons livres n’ont pas d’âge. Et celui de Carlos-Ruiz Zafon (2001) pourra se lire encore longtemps.

Cette « Ombre du Vent » plonge le lecteur dès les premières lignes dans ce qu’il  convient d’appeler un émoi haletant et une insatiable curiosité : il ne s’agit ici que de livres oubliés, de passions,  littéraires et humaines et du fil ténu qui sépare et relie le réel de l’imaginaire autour d’une même histoire,  en progrès,  que renouvellent chaque fois de nouveaux éclairages. Sans doute n’y a-t-il là rien d’exceptionnel, –  l’auteur, plein d’un humour sagace, n’hésite pas à évoquer dans ses pages Hector Malot !-(même si l’on pense à Kurosawa) , et l’humour qui fait une part inhérente du livre, comme Barcelone elle-même,  certains personnages mythiques de la littérature hispanique, la fluidité du style – et, il faut le souligner, la remarquable traduction de François Maspéro en font, de mon modeste point de vue, un ouvrage à lire, à faire lire et à conserver.

Certains n’ont pas hésité à dire que Carlos-Luis Zafon avait reçu le Prix Planeta, par confusion sans doute avec son éditeur (Planeta). Je me réjouis en tous cas d’apprendre que ce jeune auteur prolixe a rencontré avec ce livre,  qui n’est pas le dernier sans doute de ses livres pour adultes,  (il a surtout écrit pour la jeunesse)  un succès considérable, bien avant celui emporté – post mortem – par Stieg  Larson dont j’ignore s’il n’est pas, lui, finalement mort usé d’avoir dénoncé le vice et l’horreur qu’il voyait partout.

Certains tourbillons sont plus gratifiants que d’autres, et quitte à briser là quelques heures ou encore quelques jours,  voilà deux voyages qui valent, sincèrement,  le détour….

Ces soi-disants « thérapeutes », maîtres des âmes

DSCN0888La Croix titre aujourd’hui sur ces manipulateurs qui prétendent vaincre « de l’intérieur » les pires maladies que la médecine elle-même, avec tous les moyens qu’elle peut mettre en oeuvre, ne  parvient pas toujours à guérir, mais qui a au moins l’avantage de tenter de le faire honnêtement.

Irène Nemirovsky a éclairé avec brio, en 1932,  ce processus d’aliénation dans « le Maître des âmes », publié seulement en 2005. Il s’agit là d’un  roman terrible de l’émigration, de la conquête et de l’emprise d’un être,  médecin devenu charlatan par revanche plus que par ambition, sur un public trop  attentif à soi-même pour faire preuve de discernement. Malgré le temps et tous les changements intervenus depuis lors, rien n’y est vraiment « démodé ».

Il en va des faux thérapeutes comme de certains sectaires, qui préconisent parfois des pratiques qui peuvent s’avérer mortifères ou à tout le moins délétères. (Les témoins de Jéhovah ne tolèrent aucune transfusion sanguine, par exemple). Qu’importe d’ailleurs ce que sont ces pratiques si elles remportent l’adhésion d’un public ou d’un auditoire.

Le libre-arbitre n’est pas chose si bien partagée et le bon sens n’est plus de saison. La Foi elle-même fait l’objet d’un vaste marché où les gourous se pressent en promettant des jours meilleurs, le succès ou la guérison à tous ceux qui sont, il faut le dire, prêts à croire  n’importe qui et à  n’importe quoi.

Le ciel sous la tête avec Marc Dugain

Sept histoires d’hommes (et de femmes) d’aujourd’hui, qui nous livrent, non sans humour, le triste constat que Marc Dugain fait de notre monde et, en sept couleurs,  de  façons d’y vivre : en retrait, en phase, en décalage, en opposition, en ville, en province, (en France et ailleurs) et presque toujours, au bout du compte, seul.

Nuages sur la Dordogne
Nuages sur la Dordogne

Se mettre « dans la peau de » est le privilège de tout créateur, même si c’est la sienne.  Le bilan que nous en  livre ici cet auteur inspiré n’en est que plus réjouissant : au moins n’est-il dupe de rien, ni surtout de lui-même.

Le voilà bien, ce monde où nous vivons, qui a balancé au vent de la modernité ce qui longtemps lui donnait sens : réserve, pudeur, lenteur, patience et longueur de temps, en toutes choses. Mais le monde, tel qu’on le voit à cinquante ans prend toujours la couleur d’un bilan qu’à soixante, on a rangé dans un tiroir pour profiter, si on le peut, du temps qui reste.

C’est bien ce que je fais d’ailleurs, et ce genre de lecture contribue à mon bien-être et à mon bonheur de lecteur : on passe là un bon moment tout en se disant que, peut-être, de plus jeunes le liront et sauront voir, entre les lignes, l’inanité de ce que souvent ils vénèrent, à commencer par l’image ou la représentation  de comportements que l’air du temps les a contraints à adopter.

Tout cela n’est, au fond guère optimiste et ne saurait faire oublier toute  la gamme de nuances qui pour nous viennent se glisser entre les sept couleurs de cet arc en ciel. Celles de nos vies souvent ordinaires,  remplies de diversité, d’amour, de tendresse, de partage, de joies, de peines mais pas forcément de grandeur, de réussite ou de succès.

Les vies rêvées de Paul Auster : un cauchemar américain

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Je viens de retrouver avec bonheur  un auteur qui m’était cher, qui m’avait passionnée pendant la dernière décennie et que, sans raison apparente, j’avais depuis lors négligé.  Sans doute y suis-je revenue à cause du livre de sa femme,  évoqué ici en septembre dernier. C’est cela, la force des auteurs de livres :  ils nous lient.

Il doit être heureux, maintenant, Paul Auster. L’Amérique, avec une grande partie de monde,  encensent (mais pour combien de temps ?) son nouveau Président. Mais sans Dobleyou B, sans la guerre, sans la crise,  il n’aurait peut-être pas écrit son dernier roman. Ce n’est pas son meilleur, mais la première moitié vaut le détour. L’ univers austerien reste assez personnel, malgré l’emploi d’un procédé auquel les amateurs de science-fiction  sont rompus. Paul Auster demeure un témoin lucide, sinon désabusé du monde des hommes, avares trop souvent de leur  humanité.

J’ai trouvé dans cette lecture, mais dans bien d’autres choses encore,   une invite  à fermer ce bloc que je tiens depuis près d’un an. Il n’ était qu’un parmi d’autres, avec, même,  quelques affidés. Mais il faut du temps pour écrire, et celui que j’ai passé là m’a été, de ce temps-là, trop largement décompté.

Merci à tous mes cliqueurs,  lecteurs, zappeurs  et commentateurs. Ils me retrouveront peut-être un jour, ailleurs.

Dans la peau d’un « Ulysse » clandestin avec Eric-Emmanuel Schmitt

Il ne fait jamais bon vivre dans un Etat totalitaire, mais moins encore, sans aucun doute, dans un pays en guerre. C’est là ce que nous conte Eric-Emmannuel Schmitt dans son dernier roman. Etre Irakien sous Saddam avait au moins l’avantage, pour ceux qui pouvaient fuir, de se voir accepter, ailleurs, un quelconque statut. Fuir un pays prétendûment « libéré » est une tout autre affaire.

Cette fable si réelle nous plonge au coeur d’un sujet qui nous est tristement familier mais dont la plupart de ceux qui sont, là, confortablement assis au chaud devant l’écran de leurs portables, n’ont au fond,  que de vagues notions.

Changer de vie, fuir, partir, recommencer, quelles qu’en soit les raisons, est déjà un  défi récurrent pour la plupart des êtres humains. Mais l’exil, quand on devient l’étranger n’est plus voyage ; ici, c’est  une obsession que nulle Circé n’est  capable de vaincre : le but est inexorable, Londres ou rien, même si, ailleurs, tout est possible. Agatha Christie* et son univers so British doivent se retourner dans leur tombe.

Embarcation de réfugiés
Embarcation de réfugiés

Certes, les narrations de ces destins tragiques sont évoquées ici et là,  et bien  d’autres récits ont depuis fort longtemps traduit tous les exils, nutriments majeurs d’une littérature qui fait toujours, elle aussi,  l’objet de grands débats.

Le regard de M. Schmitt a le mérite d’apporter à cette réalité terrible,  presque toujours sordide qui jamais ne lui échappe et qu’il ne tente pas d’éluder,  la légereté d’un humour tendre, la douceur de la compassion profonde qu’il semble décidément porter à toute forme d’humanité, dans toute sa diversité et qu’il nous invite non seulement à partager, mais encore à mettre en oeuvre.

* elle fait partie des auteurs interdits sous Saddam Hussein

L’éblouissante éclipse (philosophique) de Philippe de la Génardière

Voilà assurément un livre qui ne drainera pas, à l’instar du nouveau Président d’Amérique, l’hystérie des foules. Ce n’est d’ailleurs pas à elles qu’il s’adresse, mais plutôt à tous ceux que préoccupent encore l’Idée, la Pensée et la Beauté qui ont progressivement déserté notre monde, au profit de valeurs autrement marchandes, dont la jeunesse n’est pas la moindre. A ceux, aussi, qui sont atteints par l’inexorable course du temps, et l’instant, fatidique, de la cinquantaine franchie et des rêves déçus.

« L’esprit et le corps luttent quarante ans : c’est là le fameux âge critique dont parle leur pauvre science, la femme stérile » écrivait au siècle dernier  Oscar Vladislas de Lubicz Milosz qui m’a profondément marquée quand j’en avais vingt (ans) et que je cite ici de mémoire. Cela m’est donc une grande découverte que cet auteur flamboyant, de mon âge, et que jusqu’alors j’ignorais. A preuve, encore,  que les découvertes se font à tout âge, et jusqu’au terme pour qui garde les yeux (et les bras) grands ouverts.

Serres du Jardin des Plantes à Paris
Serres du Jardin des Plantes à Paris

Avec ce roman au style quelque peu proustien, Philippe de la Génardière nous conduit et nous entraîne,  avec une lenteur calculée, au plus profond d’une réflexion sur une culture réduite aujourd’hui à une seule valeur marchande proposée par les animateurs medias, mais il nous plonge aussi, et avec un humour détonant, au coeur de la réalité physique de l’échec, de la chute et de l’incroyable rebond de la vitalité première, tropicale, primitive dont peut encore faire preuve un homme, aujourd’hui.

Ce cheminement est une régal pour l’esprit, une gourmandise littéraire à savourer avec lenteur, jouissance et délectation.

Brésil, Jésuites, palimpseste : le « tigre » littéraire conçu par Jean-Marie Blas de Roblès

C’est bien à l’invite si élégamment présentée par Pierre Gibert dans la dernière livraison des Etudes (P.398) que je dois ma dernière lecture : Là où les tigres sont chez eux qui a déjà, semble-t-il,  reçu les honneurs de la presse et des libraires. On en trouvera, entre autres,  un excellent avis dans la Croix, rédigé dernièrement par Geneviève Welcomme (18 octobre).

wiki commons
source : wiki commons

J’ignore si cet ouvrage trouvera la même audience que certain blockbuster suédois : à nombre presque équivalent de pages, il n’a pas tout de même pas  le même profil.  Même si, par ses divers truchements il tend à énoncer les pires maux des hommes et présente,  sous couvert de fiction, un certain nombre de faits bien vérifiables concernant un pays  que l’auteur connaît bien : le Brésil, mais pas seulement.

Voilà bien un « sacré » roman, vertige d’une écriture qui ne doit pas grand chose à l’improvisation, bien moins encore à l’impulsion mais bien à une longue recherche, une minutie attentive au fond et à la forme, près de quinze ans de travail, nous dit-on, interrompu sans aucun doute par d’autres tâches, d’autres voyages et d’autres publications. Car la vie de l’auteur apparaît comme d’une richesse étonnante, très concrétement hors du commun, en quête (érudite) du sens du monde. Le lire, c’est s’en approcher.

Elegie pour un Américain : les pages lumineuses d’humanité de Suri Hustvedt

Hubert Nyssen est décidément un éditeur pluriel, toujours fécond. On est toujours à peu près sûr, en fouinant dans les diverses parutions d’Actes Sud, d’y trouver une bonne prise, quelque soit l’origine de l’auteur dont on peut être certain qu’il sera bien traduit. Grâce soit donc rendue ici au travail de son épouse Christine le Boeuf à qui nous devons les excellentes traductions de ses auteurs anglophones, mais aussi les couvertures si délicatement attractives de leurs ouvrages.

The sorrows of an american
The sorrows of an American

La lecture de cette Elegie (parution mai 2008) a été un grand moment de bonheur. Un délice que j’ai savouré : un  moment de littérature (Ils sont devenus si rares). Pas un de ces produits fabriqués en série, suivant les méthodes éprouvées des ateliers d’écriture où se concoctent des produits, avec méthode. Non, un beau roman d’aujourd’hui, vécu et inspiré.

L’auteur, d’origine norvégienne, y donne à voir une Amérique dont la plupart des gens ne connaissent que des caricatures. Et des Américains bien éloignés des images qu’en véhiculent les medias de leur propre pays.

Qualifié par l’éditeur de roman familial, ce qu’il est aussi, on trouve trouve dans ce très beau livre l’émouvant cheminement d’une reflexion sur notre (post)modernité, le souci de soi, mais aussi sur la profonde inquiétude que génère dans nos vie l’ébullition d’un monde en rupture et en devenir, sur la force à puiser dans l’attachement indéfectible à ces racines familiales et culturelles qui demeurent les seuls point fixes de nos existences multiples.

Loin, très loin de cette violence devenue outre-Atlantique un véritable marché, on retrouve ici la douceur de liens fraternels chaleureux, d’une attention à l’Autre, de la richesse intérieure, de ce que résume si bien, au fond, le terme d‘humanité.

Emma Bovary revisitée par Philippe Doumenc

Si comme moi vous aviez laissé passé l’an dernier cette charmante Contre-enquête sur la mort d’Emma Bovary,* n’hésitez pas un seul instant à vous y jeter. Que voilà de la belle langue, pour des suggestions au demeurant bien hardies !

Imaginer la réalité d’une Emma à Yonville, en un printemps normand anormalement neigeux et victime d’un assassinat qui n’avait, au fond même pas lieu d’être, voilà bien une belle trouvaille. Philippe Doumenc nous renvoie dans le décor et la vie remodelés des personnages de Flaubert à la suite d’un jeune inspecteur plein d’entrain et d’émois à la recherche d’une vérité… qui se confirme dans l’oeuvre de Gustave.

Mais on sent chez l’auteur un tel plaisir à cisailler le détail d’une oeuvre qu’il connaît à l’évidence par coeur, réinventant ici ou là quelques traits, chargeant quelque peu, mais avec la grâce du langage, des caractères déjà passablement médiocres, cupides, lubriques ou obséquieux, que c’est aussi pour le lecteur un réel plaisir de suivre ce Rémi, émule de Rouletabille. Au gré de toutes ses hypothèses et interrogations, entre le roman vrai et un possible et dérisoire imaginaire, il nous fait passer un délicieux moment.

Une occasion, aussi, de revenir à l’oeuvre initiale, celle de toute une vie, où de découvrir, autre bijou ce Quelque chose à déclarer **de Julien Barnes, autre fin connaisseur de Gustave Flaubert et amoureux indéfectible de la France, et surtout de l’esprit français, dont Philippe Doumenc témoigne ici une fois encore.

*Actes sud, 2007

** Folio

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La belle actualité de Mazarin :Esprits frondeurs, étude, roman, série télé

Sans doute est-ce cet air de Fronde, qui règne sur la France depuis …. toujours, qui aura inspiré ces derniers temps pareille diversité dans l’offre : le Cardinal est décidément à la mode !

Madame Simone Bertière , historienne, nous livrait l’an passé une remarquable étude, un long travail de recherche et d’approfondissement sur la personne et l’oeuvre de Guilio Mazarin, y précisant d’emblée sa volonté urgente de « corriger auprès du grand public la déplorable réputation injustement accolée à sa mémoire » . La démarche de Simone Bertière à ceci de remarquable qu’étant devenue spécialiste du pire ennemi de Mazarin, le Cardinal de Retz, elle confesse à ce propos : »Il m’en était resté une sorte de remords envers ce dernier (Mazarin), et le sentiment que je lui devais réparation« .

J’ignore encore sous quels auspices se présente la toute récente publication du Pour l’amour de l’enfant Roi : Jules Mazarin – Anne d’Autriche, d’ Alain-Gilles Minella paru le 13 mars aux éditions Perrin.

Présenté avantageusement par l’éditeur (et les revendeurs) comme : « La biographie d’un couple uni dans le pouvoir et dans l’adversité, par un véritable amour et par l’ambition de faire de Louis XIV le plus grand roi du monde. » cet ouvrage a toute les chances de rencontrer un large succès, puisque déjà renommé, sur un site commercial : La Reine et le Cardinal

C’est avec ce titre, donc, que le succès pourrait être au rendez-vous en 2009 sur notre écran avec la diffusion qu’on nous annonce (tournage en cours), d’un téléfilm porté par l’acteur Philippe Torreton qu’il n’est plus nul besoin de présenter. Il est précisé sur les fiches disponibles que le scénario n’est pas l’oeuvre de M. Minella, historien, mais bien celle de Jacques Santamaria, scénariste.

J’ignore, vu de ma petite lorgnette, ce qu’il adviendra de la vision nouvelle que les Français pourront avoir sur ce Cardinal italien qui mena si bien, au final, notre pays, et dont quelques rares auteurs, aujourd’hui, tentent de réhabiliter la vie et l’oeuvre. Espérons que leur tâche n’aura pas été vaine.