
J’ai beaucoup, souvent, voyagé en Chine. Il m’est arrivé, certains soirs, d’y regarder la télévision. Chinoise, bien sûr. On pouvait y suivre, par séries successives, l’histoire de la Chine dans ce qu’elle avait de plus impérial, cotoyant, comme en piqûre de rappel, celle de sa Révolution, dans ce qu’elle eut de moins délétère. J’avais été frappée alors, cela fait tout juste dix ans, par la fierté nationale dont avaient témoignés devant moi de jeunes et brillants cadres chinois -diplômés d’universités étrangères, anglaises ou américaines-, vis à vis de leur pays à qui ils accordaient d’emblée tous les succès.
C’était à Shanghaï, où l’on venait d’inaugurer le nouvel Opéra réalisé par un architecte français. Ils s’acharnaient à prétendre que l’architecte était chinois. Je n’ai pas insisté plus longuement, lassée par leurs certitudes et pressée par mon emploi du temps. C’est seulement après coup- devant un autre épisode de la même série TV- que j’ai constaté combien est insidieux le spectacle (didactique) qu’un Etat veut donner de lui même au plus grand nombre de ses ressortissants, mais parfois même au monde entier, pour forger, ou réincarner, leur identité.
Notre télévision nationale revient depuis quelque temps sur le sujet de notre Histoire avec la série « Ce jour-là, tout a changé » commencée par celle, bien menée, de l’assassinat d’Henri IV.

Cette Nuit de Varennes, montrée l’autre soir, avait tout de même de quoi surprendre les spectateurs ignorants des travaux récents ou limités, pour les plus âgés, aux leçons d’histoire déjà fort anciennes de leur lointaine jeunesse.
Qu’il était donc avenant, ce jeune Roi de trente quatre ans, pétri de culture et de modernité, d’amour pour son pays, (pour sa femme aussi, ce que l’on savait, qui n’était même pas infidèle, ce dont on nous a longtemps fait douter), qui avait encouragé et soutenu la révolution américaine et qui ne rêvait que de science, de découvertes et de paix ! Qu’il était loin de ce portrait infâme de lâche goûlu, aboulique, apathique et quasiment obèse qu’on nous en avait si longtemps dressé !
Au moins aura-t-on pris la peine, ici, de s’inspirer des travaux d’un historien sérieux qui a pris le temps (pas moins de sept ans et près de mille pages) pour établir une biographie minutieuse du souverain tant décrié dans nos livres d’histoire et finalement martyr de la Terreur.
Il nous aura fallu deux cents ans pour convenir que Louis XVI et sa famille ne méritaient peut-être pas leur sort. C’est bien long pour une Terreur qui ne dura, et heureusement, que deux terribles années, et nous marqua du sceau indélébile de peuple révolutionnaire, libérateur mais aussi régicide. Il en a fallu moins de vingt aux Russes, écrasés pendant soixante dix ans sous le joug soviétique et totalitaire, pour réhabiliter leur famille impériale si proche, dans le fond et la forme, de ce que fut notre famille Capet.
On ne parvient jamais très longtemps à « faire du passé table rase ». Il forge nos identités, autant que nos différences et toutes nos contradictions.