Subventions déniées aux Ostensions limousines : un déni d’identité ?

Saint-Martial (fresque, Avignon)

Par les temps qui courent, voilà un bel exemple d’identité française, ou du moins limousine : celle que confère à cette région, voire à tout  notre pays lui-même cette manifestation septennale largement évoquée l’an passé : les Ostensions limousines.

S’il est à l’origine  essentiellement religieux et catholique , il s’agit pourtant,  de nos jours d’un « évènement » largement pris en compte par tout ce qui a vocation à attirer un public toujours demandeur de tourisme et de « distraction », comme on peut le constater sur ce lien.

J’ignore ce que les instances locales ont accordé à certaines communes ostensionnaires pour les aider à réaliser au mieux cet évènement afin d’y attirer les foules. Cela ne doit pas dépasser 60.000 euros. Au regard des budgets régionaux, des subventions accordées par ailleurs à tant d’autres associations, mouvements ou évènements moins visibles et surtout moins fédérateurs,  cela ne représente sans aucun doute qu’une goutte d’eau.

Cette goutte d’eau a pourtant fait déborder le vase pour une poignée de citoyens hostiles à ce « fait religieux » (surtout catholique d’ailleurs) qu’ils dissocient de tout son contexte  historique, social et identitaire pour n’y voir qu’une scandaleuse transgression de la Loi de 1905 séparant l’Eglise de l’Etat, et d’abord leurs budgets.

C’est apparemment ce qu’en  a conclus le Tribunal administratif de Lyon qu’ils ont saisi et qui vient de rendre son jugement.  On peut dès lors se demander ce qui se passe à Lyon, en matière de subventions, pour ce qui est devenu désormais la coûteuse (et annuelle)  Fête des Lumières, tradionnelle fête de l’Assomption de Marie si chère à l‘identité lyonnaise, cette fois officiellement récupérée comme « évènement » !

On est donc enclin à penser qu’un appel sera prononcé à l’encontre du déni fâcheux dont les aides aux  Ostensions font l’objet : ce ne sont pas à l’Eglise ni même aux paroissiens, toujours bénévoles,  que ces subventions ont été accordées par les communes bénéficiaires, mais bien pour couvrir une partie des frais qui leur incombent pour mettre en oeuvre sur leur territoire  n’importe quel évènement commercial, sportif ou culturel important pour la vitalité même  de la commune.

Au-delà de son absurdité, un tel jugement pourrait tout de même remettre en cause l’entretien du patrimoine culturel d’origine religieuse (et en particulier catholique) dont l’Etat est propriétaire et dont les communes françaises doivent assurer une grande partie de la charge, à l’aide le plus souvent de… subventions.

Deux esprits lumineux pour une même vision de la France : Charles De Gaulle et André Malraux

l'Espoir et le Fil de l'Epée

A l’heure où le sujet de l’identité nationale anime les débats, une lecture récente me renvoie à ce sujet déjà évoqué ici. Un jeune (et brillant) avocat,  Alexandre Duval-Stalla a donné, il y a deux ans déjà, le fruit d’un long travail fouillé, d’une compilation nourrie, personnelle  et éclairée de deux destins d’exception qui un jour se croisèrent pour former le lien d’une inextinguible amitié. Cette remise en mémoire de la vie de Charles De Gaulle, de dix ans l’aîné d’André Malraux et celle de ce dernier sont à relire d’urgence, car tout y est dit de ce qui fait la France et des valeurs de notre identité française.

J’emprunterai ici à Daniel Rondeau, qui préfaça ces « Biographies croisées » avant même qu’elles ne soient achevées, la fin de son exergue : « D’un côté l’homme du destin et de l’Histoire, de l’autre celui d’une fantasia permanente de l’intelligence dont les affirmations chargées d’une étrange énergie poétique claquent sur la toile mouvante du passage du temps. Chacun d’eux a trouvé son meilleur lecteur. Voilà qu’aujourd’hui un jeune homme nommé Alexandre Duval-Stalla se penche sur ces deux vies longtemps parallèles qui ont fini par ne plus former qu’une seule histoire. Duval-Stalla nous la raconte. Ce n’est pas si banal, il nous parle d’un temps où notre pays était gouverné par deux écrivains. Tout cela paraît loin. C’est très loin. Mais c’est la façon qu’a trouvée un homme de trente ans de parler de notre temps. »

Eh bien moi qui ai connu ce temps-là, je trouve ce jeune homme admirable, qui a su où puiser pour façonner son propre « Coeur intelligent »,  pour emprunter à Alain Finkielkraut dont le sujet de  la littérature, nourriture de l’intelligence, est le plus récent plaidoyer.

En ce temps de disette morale et d’athéisme triomphants, il est réjouissant de voir ainsi ramenés en lumière ces esprits qui appartiennent déjà à l’Histoire sur laquelle repose encore notre aujourd’hui. Car on peine à imaginer ce que serait la France, son territoire, son image, son patrimoine et sa culture si elle ne les avait pas rencontrés.

Par delà cette vision commune d’une France pérenne et généreuse, Charles de Gaulle était animé d’une foi catholique profonde et puissante, ce qui n’était pas le cas d’André Malraux qui résuma pourtant de la plus pertinente manière cette finalité mortelle qui l’obsédait : « Vous savez mieux que moi que nul n’échappe à Dieu ».*

*au père Bockel

Identité française ou identité nationale ?

France (source wikicommons)Au moment même où était lancée cette vaste campagne sur l’Identité française, je terminais le livre, assez terrifiant,  de Olav Hergel L’Otage, portrait incisif des excès d’une société repue amenée, par la manipulation conjointe de certains partis et des medias, à un repli national et un rejet complet de l’étranger. L’auteur précise qu’il s’agit évidemment d’une fiction, tout en précisant que « toute ressemblance avec des personnes, des institutions ou des medias existants n’est, comme l’écrivain allemand Heinrich Böll l’a exprimé, ni intentionnelle, ni fortuite, mais tout simplement inévitable« .  C’est dire si le débat lancé sur notre identité interroge. Ce  pourquoi je romps le silence que je m’étais imposé.

Sans doute le Danemark n’est-il pas, et à maints égards, comparable à la France. Mais la question qu’y pose l’immigration se pose dans toutes les nations d’Europe et chacune tente, comme elle peut, d’y répondre.

A l’exception de quelques rares familles implantées depuis des siècles dans ce qui est  notre territoire, la plupart d’entre nous sommes aujourd’hui  issus de migrations diverses et d’un mélange d’usages et de coutumes dont l’agglomération constitue notre, ou plutôt nos cultures. Mais quelles que soient nos différences d’origines, nous partageons (ou sommes censés partager) la même appartenance : celle de citoyens français.

L’identité d’une personne n’est donc pas nécessairement la même que celle du citoyen qu’elle est et je m’étonne toujours que cela ne soit pas toujours évident chez nous, terre d’immigration.

Sans doute la langue est-elle un des premiers facteurs d’adhésion et de cohésion. Pour autant, être francophone ne signifie être Français. Etre Français, c’est d’abord,  me semble-t-il prendre (ou faire prendre) conscience de ce qui fixe les usages et les règles de notre vie publique, résumés sur la plupart des frontispices de nos écoles : « Liberté Egalité, Fraternité » et que développe notre Constitution.

Avoir la chance de vivre dans un pays où toutes les opinions, croyances et religions sont libres d’expression mérite que l’on en respecte les règles, droits et devoirs. Cela s’apprend.

Pouvoir « Etre heureux comme Dieu en France » est un rêve pour trop d’étrangers pour que ceux qui ont la chance d’être déjà Français ne s’interrogent pas davantage sur ce que cela signifie pour eux-mêmes, mais aussi pour l’Autre.

Nous verrons donc ce qu’il résultera de cette enquête…..

 

 

Généalogies : l’histoire de nos identités ne fait pas notre nationalité

Saint Martin de Tours
Saint Martin de Tours

La profusion apparente de recherches patronymiques sur les sites généalogiques ne manque pas de m’intriguer. Chacun sans doute espère  savoir au moins d’où il vient, et de qui, ce qui n’est pour certains pas facile, qui ne sont pas nés ou  sont issus de voies trop naturelles ou pire encore non recensées. Dans la plupart des familles ordinaires,  non patriciennes, on connaît souvent l’origine de ses parents, de ses grands-parents même, parfois un peu plus haut encore.

Remonter le temps devient pour certains une véritable obsession. Il  passent des jours, des années,  à reconstituer le fil d’une histoire passée, de destins accomplis qui ne changeront plus rien, espérant découvrir peut-être qu’un de leurs lointains ancêtres fut plus connu ou plus glorieux… qu’ils le seront jamais eux-mêmes. En vérité, je n’en sais rien.

Avoir un nom, un lieu d’origine c’est, déjà, être identifiable, sinon être identifié. Mais l’Administration de ce beau pays n’a, en vérité,  que faire de nos origines : elles ne suffisent pas à nous conférer ce qui fait de nous des Français, notre nationalité, et moins encore ce qui en témoigne : notre carte d’identité.

J’ai par naissance un patronyme porté depuis quatre siècles et demi dans la ville où sont nés mon père et  cinq générations au moins de ceux qui l’on précédé. J’ai eu le malheur,  un jour, de perdre ma carte d’identité et d’en demander le renouvellement,  dans le département de cette même ville. J’avais un passeport, un permis de conduire, un livret de famille, une carte d’assuré social, d’électeur même, autant de pièces pouvant à elles seules justifier d’une identité. Las, cela n’était pas suffisant. Au bout d’un invraisemblable, ubuesque mais véritable  parcours du combattant, je finis, au Tribunal, par obtenir un « certificat de nationalité » que je reçus comme une insulte à la mémoire de mes ancêtres  qui n’avaient jamais quitté ce pays, ce certificat m’étant délivré au vu de cinq ans de déclarations fiscales attestant que je ne l’avais jamais quitté moi-même.

Depuis lors, je dois le dire, je me sens quelque peu étrangère en ce pays qui est le mien.

Nos patronymes ne sont signifiants qu’au regard d’une histoire passée dont le présent efface peu à peu les traces. On en  recense aujourd’hui en France moins d’un million et demi. C’est beaucoup, par rapport à la Chine qui n’en compte que quelques milliers et n’en utilise moins de vingt.

A défaut de statistiques plus concrètes, notre INSEE dispose au moins de ces noms que nous portons encore, ceux qui ont disparu de nos villes et de nos campagnes, de ceux qui y sont apparu et y apparaissent  encore depuis plus d’un demi-siècle d’exils, d’errances et de migrations. Dans le seul département de Seine-Saint-Denis, devenu pour certains le neuf trois, plus d’un millier de noms se sont éteints entre 1891 et 1915, sans doute pour fait de guerre.  Mais entre 1966 et 91, plus de 20.000 y sont apparus,  venus de nos restes d’empire et de tant de  contrées en guerre.

Tous ces hommes et ces femmes dont le nom s’impriment aujourd’hui sur les registres de notre nation sont devenus, s’ils ne l’étaient pas, simplement Français. Ni plus ni moins que tous les  Martin, qui couvrent de leur patronyme l’ensemble de notre territoire, évoquant ainsi  immanquablement ce Romain de Tours , ce bon Saint-Martin dont la bienveillance devrait, chaque jour au moins, nous éclairer.

Ce monde métissé que nos identités redoutent et que notre modernité impose : « Le commencement d’un monde », de Jean-Claude Guillebaud

Jean-Claude Guillebaud nous livre dans son dernier ouvrage sa remarquable réflexion, nourrie par l’analyse incisive de nombreuses publications et travaux d’études et de recherches(1),  sur l’état du monde à venir (mais déjà actuel) où « le centre n’est nulle part et la périphérie partout« , en s’opposant d’emblée à la thèse développée en 1993 par Samuel Huntington (Le choc des civilisations) qui opposait l’Occident au reste du monde, thèse dont l’impact avait été largement accentué par les évènements du 11 septembre 2001 et a été depuis lors, et  fort heureusement, très largement contestée.

Il s’agit ici d’un travail immense,  mené au travers d’autres ouvrages depuis 1995, structuré et nourri,  dont mon modeste propos ne vise qu’à le faire découvrir. Il nous éclaire par la vision détaillée qu’il nous présente, en reprenant point par point et région par région ce qui distingue notre monde et notre humanité.

Le Déclin de l’Occident nous était annoncé depuis longtemps déjà, dans la perspective d’Oswald Spengler, comme la fin d’un cycle de civilisation accompli. Notre Séquence occidentale, comme la nomme J.C. Guillebaud, aura brillé quatre siècles,  mais nos Lumières ont failli en prétendant éclairer le monde de leur seule vérité, dans le déni d’une altérité que chacun aujourd’hui revendique. « Avoir négligé la question de l’identité, de la concrétude humaine, des passions élémentaires, de l’enracinement des êtres et des communautés : là réside l’erreur principale du XVIIIème siècle. La part obscure du principe d’humanité n’était pas – ou peu- prise en compte par les penseurs de l’universel et des théoriciens des droits de l’homme. Ils firent preuve, sur ce point précis, d’une troublante myopie » (pp.281-282).

On ne sort évidemment pas indemne de cette lecture, qui élargit passablement notre connaissance du monde – quand il ne s’agit pas tout simplement de sa découverte, ce qui est souvent le cas pour un certain nombre de pays que nous voyons trop souvent encore à la lumière de tous les clichés dont ils sont encore « parés ». Quant à ceux qui « émergent », comme se plaît à le dire la voix médiatique (et pas seulement), ils deviennent jour après jour davantage les locomotives qui tirent nos wagons essoufflés.

Sachant que les populations occidentales ne représenteront, dans moins de vingt ans, que 6 % de la population mondiale, toute arrogance paraît d’ores et déjà dérisoire. Notre séquence s’achève, celle de l’Orient (avec le Sud) a déjà commencé.

Les plus âgés se sentent déjà un peu perdus dans ce qui est aujourd’hui déjà le monde de demain : la préservation des identités quelles que soient l’interpénétration de toutes nos cultures et les migrations des courants religieux, sera (est déjà) sans aucun doute l’enjeu d’une paix que chacun souhaite, dont les pays les mieux lotis jouissent encore et auxquels tant d’autres aspirent. Ce  sera probablement suivant des schémas qui ne sont pas forcément les nôtres, notre modèle n’en étant plus qu’un parmi d’autres qui se construisent, sans pour autant lui être étranger et auxquels, déjà, nous sommes conviés à nous adapter.

(1) quelques sites informatifs sur la fonction de quelques studies