Il est sûr qu’aujourd’hui, les medias ne parlent que de cela. La neige en hiver, voilà qui fait pour eux un bon sujet. Le Nouvel An chinois est encore bien « meilleur ». Toutes les occasions sont bonnes pour parler fort de ce qui, au moins, ne fâchera pas. C’est peut-être une bonne idée, après tout. Les sujets de tristesse, de frustration, ou de mécontentement sont si nombreux.
Le Dragon nous a valu l’an passé des triomphes faciles, mais aussi bien des déboires, des catastrophes, des accidents. Le Serpent qui nous arrive aujourd’hui serait nous dit-on bien meilleur, et en tous les cas moins violent, puisqu’il caractérise d’abord la finesse et l’intelligence. Allez donc savoir. Qu’il soit chinois ou indien, l’horoscope vaut surtout par la foi que certains lui accordent.
Ce qu’il y a de réjouissant, dans cette fête aujourd’hui célébrée dans le monde entier, puisque la Chine et désormais partout, c’est surtout le prix qu’elle a pour tout un peuple, le plus nombreux du monde, de célébrer joyeusement cette valeur auquel il est encore si attaché : la famille. C’est l’occasion pour presque tous les Chinois (qui le peuvent) d’aller retrouver pendant quelques jours tous ceux de leurs proches qu’ils n’ont pas vu depuis longtemps.
Et l’on peut au moins être sûr que ce jour-là, ce n’est pas la neige qui les arrêtera. Est-ce bien encore le cas chez nous ?
J’ai beaucoup, souvent, voyagé en Chine. Il m’est arrivé, certains soirs, d’y regarder la télévision. Chinoise, bien sûr. On pouvait y suivre, par séries successives, l’histoire de la Chine dans ce qu’elle avait de plus impérial, cotoyant, comme en piqûre de rappel, celle de sa Révolution, dans ce qu’elle eut de moins délétère. J’avais été frappée alors, cela fait tout juste dix ans, par la fierté nationale dont avaient témoignés devant moi de jeunes et brillants cadres chinois -diplômés d’universités étrangères, anglaises ou américaines-, vis à vis de leur pays à qui ils accordaient d’emblée tous les succès.
C’était à Shanghaï, où l’on venait d’inaugurer le nouvel Opéra réalisé par un architecte français. Ils s’acharnaient à prétendre que l’architecte était chinois. Je n’ai pas insisté plus longuement, lassée par leurs certitudes et pressée par mon emploi du temps. C’est seulement après coup- devant un autre épisode de la même série TV- que j’ai constaté combien est insidieux le spectacle (didactique) qu’un Etat veut donner de lui même au plus grand nombre de ses ressortissants, mais parfois même aumonde entier, pour forger, ou réincarner, leur identité.
Notre télévision nationale revient depuis quelque temps sur le sujet de notre Histoire avec la série « Ce jour-là, tout a changé » commencée par celle, bien menée, de l’assassinat d’Henri IV.
Versailles
Cette Nuit de Varennes, montrée l’autre soir, avait tout de même de quoi surprendre les spectateurs ignorants des travaux récents ou limités, pour les plus âgés, aux leçons d’histoire déjà fort anciennes de leur lointaine jeunesse.
Qu’il était donc avenant, ce jeune Roi de trente quatre ans, pétri de culture et de modernité, d’amour pour son pays, (pour sa femme aussi, ce que l’on savait, qui n’était même pas infidèle, ce dont on nous a longtemps fait douter), qui avait encouragé et soutenu la révolution américaine et qui ne rêvait que de science, de découvertes et de paix ! Qu’il était loin de ce portrait infâme de lâche goûlu, aboulique, apathique et quasiment obèse qu’on nous en avait si longtemps dressé !
Au moins aura-t-on pris la peine, ici, de s’inspirer des travaux d’un historien sérieux qui a pris le temps (pas moins de sept ans et près de mille pages) pour établir une biographie minutieuse du souverain tant décrié dans nos livres d’histoire et finalement martyr de la Terreur.
Il nous aura fallu deux cents ans pour convenir que Louis XVI et sa famille ne méritaient peut-être pas leur sort. C’est bien long pour une Terreur qui ne dura, et heureusement, que deux terribles années, et nous marqua du sceau indélébile de peuple révolutionnaire, libérateur mais aussi régicide. Il en a fallu moins de vingt aux Russes, écrasés pendant soixante dix ans sous le joug soviétique et totalitaire, pour réhabiliter leur famille impériale si proche, dans le fond et la forme, de ce que fut notre famille Capet.
On ne parvient jamais très longtemps à « faire du passé table rase ». Il forge nos identités, autant que nos différences et toutes nos contradictions.
Heureux les temps plus anciens où les nouvelles du monde ne nous parvenaient qu’avec lenteur, souvent après analyse, presque toujours avec mesure. Mais la mesure, aujourd’hui, est celle d’un monde immédiat et universel où chaque évènement peut-être vécu simultanément par tous ceux qui accèdent à l’information, soit aujourd’hui déjà près d’un milliard d’internautes, et près du quart de la population mondiale dans les trois ans à venir. La moitié de la population française est aujourd’hui connectée.*
La première décade de notre mois de mai offre à elle seule un panel de désastres assez terrifiant : cyclone meurtrier en Birmanie, tornades ravageuses aux Etats-Unis, puis un séisme majeur en Chine, dont les ondes continueront un certain temps à se propager avec autant de ruines et de détresses induites.
La liste ne sera jamais exhaustive de tous les malheurs qui nous assaillent, nous-mêmes et tous nos semblables, contre lesquels nous sommes le plus souvent complètement impuissants et dont la connaissance immédiate et redondante risque davantage, à terme, de nous incliner au repli plus qu’à la compassion à laquelle l’Espérance nous invite et que la Charité nous impose.
Il est probable que de tous temps et en tous lieux, la Terre a produit tout autant de ces éclats que nous avons très longtemps ignorés. Aujourd’hui, il suffit de se connecter à un site spécialisé (voir lien ci-contre) pour suivre pas à pas ces évolutions, qui sont considérables et terrifiantes, et dont les plus catastrophiques sont un tropisme juteux pour les medias, toujours avides de fournir à leurs spectateurs ce sang et ces larmes qu’apparemment ils attendent et qui les fascinent, tant il est vrai que la violence (et sa représentation) sont consubstantielles à notre nature** pour assumer notre combat vital et assouvir nos vanités.
Bien loin hélas de l’humilité que devrait nous imposer la conscience de notre fragilité. Celle de toutes ces vies perdues ou brisées, celles des autres, mais tout aussi fatalement les nôtres dont aucune n’échappe, quelque jour, à un malheur.
* étude Nielsen-MediaRatings pour JournalduNet (2007)
**voir Werner Balzer, La sensorialité et la violence in Revue française de psychanalyse, 70,2006,1
Du point de vue purement médical, mourir de faim suppose une lente et douloureuse agonie qui peut durer de 8 à 12 semaines. Du point de vue éthique et religieux, c’est tout simplement inacceptable dans le monde qui est aujourd’hui le nôtre.
Je ne suis pas économiste et ne m’avancerai pas sur les causes d’une famine qui se profile à notre horizon dans les contrées moins heureuses que la nôtre. Même si aucune époque n’a de ce point de vue été épargnée, mourir de faim dans un monde qui offre par ailleurs tant de prospérité ressortit du simple scandale, de la honte, d’une insulte à l’humanité et à son Créateur. Ceci étant, les famines ont souvent pour causes d’autres fléaux que ceux que la nature a toujours imposées, toutes époques confondues.
Le XXème siècle a été le terrain d’une idéologie dont sont encore victimes (Corée du Nord, Cuba ou à présent le Népal) quelques malheureuses nations. Les famines plus ou moins orchestrées* en Ukraine dans les années 30 ou en Chine trente ans plus tard en témoignent. On évalue pour celles-ci l’hécatombe à plus de 35 millions de morts.
De ce point de vue, la carte de la faim, établie par la Food and Agriculture organization (FAO) pointe les zones à risques, au centre desquelles l’Afrique, lieu de conflits incessants et de catastrophes écologiques, détient aujourd’hui le triste record.
On peut donc s’interroger sur le rôle que la plupart des Etats ont bien voulu accorder au travail de leurs démographes, qui ont sans aucun doute largement prévu, et depuis assez longtemps, ce que serait à peu de choses près la situation du Monde aujourd’hui, de sa population et donc de ses besoins vitaux. On imagine mal en effet une quelconque prospective qui ne tiendrait pas compte, en la matière, des études rigoureuses et détaillées réalisées ici et là par par tant de chercheurs sérieux. On peut d’ailleurs se faire une idée (voir le site de prospective de population de l’ONU) de ce qu’il pourrait être demain. Dommage qu’on y ait pas pensé plus tôt, car nous avons aujourd’hui en la matière, à ce qu’on dit, vingt ans d’erreurs derrière nous.
S’il devient difficile pour les pays nantis d’assumer leur devoir d’assistance, il est effarant de savoir que dans certains Etats, pour le plus grand malheur de leurs peuples, les dirigeants ne prévoient ni ne gèrent que pour eux-mêmes le pouvoir et ses attributs dont ils profitent abondamment, sans égard pour leur propre pays ni ses populations. Que des fortunes, parfois fondées sur l’aide humanitaire internationale, souvent sur le détournement de fonds publics, s’amassent hors de leurs frontières et se dépensent … chez nous.
Ceci étant, c’est aujourd’hui que des hommes, des femmes, des enfants, ici ou là, meurent de faim. C’est là le signe d’un mépris inqualifiable. De la science, de la connaissance, de la volonté, de la liberté et du travail des hommes.