Vivre simplement

Vivre simplement, c’est à quoi nous invitent les rédacteurs du dernier numéro de Croire aujourd’hui. Sans doute est-ce bien légitime, puisque nous entrons bientôt en Carême, temps de retraite intérieure et collective pour les chrétiens qui préparent dans la pénitence, la prière et l’aumône la Résurrection de Pâques. Pour autant, je suis étonnée de cette invite, tant il me semble naturel, pour un chrétien comme pour la plupart des croyants, de vivre simplement, c’est-à-dire en deçà de tout ce que notre société nous impose, quasiment, de consommer à outrance ou sans réelle nécessité.

Sans doute sommes-nous confrontés, à certains âges de la vie, à toutes formes de compétitions : pour les adolescents, objets d’un vaste marché, elle est plus rude encore que pour les adultes formés et  libérés en partie – mais en partie seulement, de cette contingence que représentent pour les premiers leur  identité à trouver et pour les seconds leur place à marquer. Les uns et les autres sont, à longueur de temps, matraqués par les courants de mode, les nouveautés, les gadgets et autres produits qu’il faut posséder pour être soi-disant « reconnu » ou « admis » dans tel ou tel groupe, ou se maintenir dans telle  coterie. Ces vanités auxquelles peu échappent dans la première partie de leur vie deviennent plus facilement caduques avec l’âge, mais surtout hors des villes où se concentrent ce genre de défis.

Sans doute les croyants ne sont-ils pas plus épargnés que les autres de toutes ces sollicitations, mais j’observe néanmoins que la spiritualité qui les guide les protège souvent des abus d’une consommation immodérée d’objets et de services nouveaux soumis en tous lieux à leur attention.

Il est de bon ton aujourd’hui de prôner ce qui est durable, d’en appeler à l’économie de ce qu’on a des années durant assez largement gaspillé, comme nos énergies, mais il ne faudrait tout de même pas sombrer dans un autre excès, car il s’agit bien là de nouveaux marchés  soumis comme les autres aux contraintes , aux  enjeux et au public qu’ils visent, le plus large possible.( Se ruiner dans une construction bio-écologique ou se passer d’un sèche-linge fort utile avec des enfants est de ce point de vue signifiant).

Vivre simplement, ne serait-ce pas, d’abord,  vivre selon ses moyens, au plus près de sa nécessité,  en accord avec  son environnement naturel et prioritairement  humain ? En ce temps où notre monde est ouvert à toutes les formes de communications et de solidarités,  ne serait-ce pas avec son propre voisin qu’il s’agirait d’abord d’échanger, avant d’aller parfois très loin proposer une aide qui serait  bienvenue déjà tout près de chez soi ?

Généalogies : l’histoire de nos identités ne fait pas notre nationalité

Saint Martin de Tours
Saint Martin de Tours

La profusion apparente de recherches patronymiques sur les sites généalogiques ne manque pas de m’intriguer. Chacun sans doute espère  savoir au moins d’où il vient, et de qui, ce qui n’est pour certains pas facile, qui ne sont pas nés ou  sont issus de voies trop naturelles ou pire encore non recensées. Dans la plupart des familles ordinaires,  non patriciennes, on connaît souvent l’origine de ses parents, de ses grands-parents même, parfois un peu plus haut encore.

Remonter le temps devient pour certains une véritable obsession. Il  passent des jours, des années,  à reconstituer le fil d’une histoire passée, de destins accomplis qui ne changeront plus rien, espérant découvrir peut-être qu’un de leurs lointains ancêtres fut plus connu ou plus glorieux… qu’ils le seront jamais eux-mêmes. En vérité, je n’en sais rien.

Avoir un nom, un lieu d’origine c’est, déjà, être identifiable, sinon être identifié. Mais l’Administration de ce beau pays n’a, en vérité,  que faire de nos origines : elles ne suffisent pas à nous conférer ce qui fait de nous des Français, notre nationalité, et moins encore ce qui en témoigne : notre carte d’identité.

J’ai par naissance un patronyme porté depuis quatre siècles et demi dans la ville où sont nés mon père et  cinq générations au moins de ceux qui l’on précédé. J’ai eu le malheur,  un jour, de perdre ma carte d’identité et d’en demander le renouvellement,  dans le département de cette même ville. J’avais un passeport, un permis de conduire, un livret de famille, une carte d’assuré social, d’électeur même, autant de pièces pouvant à elles seules justifier d’une identité. Las, cela n’était pas suffisant. Au bout d’un invraisemblable, ubuesque mais véritable  parcours du combattant, je finis, au Tribunal, par obtenir un « certificat de nationalité » que je reçus comme une insulte à la mémoire de mes ancêtres  qui n’avaient jamais quitté ce pays, ce certificat m’étant délivré au vu de cinq ans de déclarations fiscales attestant que je ne l’avais jamais quitté moi-même.

Depuis lors, je dois le dire, je me sens quelque peu étrangère en ce pays qui est le mien.

Nos patronymes ne sont signifiants qu’au regard d’une histoire passée dont le présent efface peu à peu les traces. On en  recense aujourd’hui en France moins d’un million et demi. C’est beaucoup, par rapport à la Chine qui n’en compte que quelques milliers et n’en utilise moins de vingt.

A défaut de statistiques plus concrètes, notre INSEE dispose au moins de ces noms que nous portons encore, ceux qui ont disparu de nos villes et de nos campagnes, de ceux qui y sont apparu et y apparaissent  encore depuis plus d’un demi-siècle d’exils, d’errances et de migrations. Dans le seul département de Seine-Saint-Denis, devenu pour certains le neuf trois, plus d’un millier de noms se sont éteints entre 1891 et 1915, sans doute pour fait de guerre.  Mais entre 1966 et 91, plus de 20.000 y sont apparus,  venus de nos restes d’empire et de tant de  contrées en guerre.

Tous ces hommes et ces femmes dont le nom s’impriment aujourd’hui sur les registres de notre nation sont devenus, s’ils ne l’étaient pas, simplement Français. Ni plus ni moins que tous les  Martin, qui couvrent de leur patronyme l’ensemble de notre territoire, évoquant ainsi  immanquablement ce Romain de Tours , ce bon Saint-Martin dont la bienveillance devrait, chaque jour au moins, nous éclairer.

Le chemin de l’Enfer (économique) passe au-dessus des bonnes intentions

Etre trop riche en France n’est plus une sinécure depuis que Nicolas Fouquet commit l’insigne injure d’étaler ses richesses devant son Roi exsangue. Il en fut bien puni, mais cela ne changea guère le sort de tous les pauvres qui en France, en ce temps-là, étaient légions. Ce n’est plus, même aujourd’hui,  tout-à-fait le cas.

Si l’on veut bien exclure ici (la parenthèse mériterait bien davantage que ce simple billet) l’argent indigne de tous ces trafics divers et variés qui échappent encore au contrôle de presque tous les Etats,  pour ne s’en tenir qu’à celui que génère l’Economie aujourd’hui chancelante, (on lui a tant reproché d’être horrible) il y a tout de même lieu de s’interroger sur le comportement apparent d’un très grand nombre de Français qu’indignent à juste titre des profits scandaleux de certains mais qui donnent généreusement aux Jeux de  l’Etat qu’ils conspuent bien plus encore que ce qui lui rapporte les fortunes qu’ils rêvent pourtant d’atteindre et que de toute évidence ils envient.

Gagner sa vie est dans la plupart des cas le souci de chacun, même si un nombre croissant de gens espèrent le faire facilement et sans trop d’effort. Avoir un emploi est encore, de ce point de vue,  le premier sinon le seul moyen de le faire. Encore faut-il qu’il y en ait un.

Sauver les entreprises qui restent, encourager celles à venir et former de nouvelles compétences  me semble donc,  de ce point de vue,  la plus positive des démarches entreprises par un certain nombre d’Etats, dont le nôtre. Le bouclier fiscal en fait partie, qui limite la pression sur les créateurs, communément considérés aujourd’hui comme fournisseurs d’emplois.

Mais le quasi lynchage médiatique auxquels sont livrés aujourd’hui un grand nombre d’entrepreneurs risque à terme de les détourner de chez nous. Leur imposer en outre, et  par la loi,  une morale qui n’a déjà  plus cours ailleurs, ne palliera pas ce manque à gagner.  On ne peut à la fois tendre la carotte ET le bâton. L’argent des affaires, du travail, de l’emploi lui,  circule. Il pourrait aussi bien aller circuler ailleurs. Il y a d’autres paradis pour les entrepreneurs.  Les bonnes intentions ne sauraient seules paver ces chemins-là.

La jupe d’Adjani: plaidoyer ET réquisitoire pour l’Enseignement français laïque ET obligatoire

lyceens_kati1 (wikicommons)
Classe de lycéens à Kati (Mali) en 2005

Cette « Journée de la jupe » présentée hier soir par ARTE sera je suppose partie droit au coeur de nombreux enseignants, trop souvent nommés « profs » et dénués dès lors, de tout de le poids légitime de leur fonction.

Une classe comme celle-ci, au Mali, les ferait rêver, quand certains, trop d’entre eux cauchemardent aujourd’hui à l’idée de se présenter devant des individus instables et déchaînés dans des lycées qui ne sont pas seulement de banlieues ou de « cités ».

Pour ma part, je salue cette entreprise téméraire. Téméraire, parce qu’elle montre sans aucun doute UNE réalité. Qui ne satisfait a priori que les medias, toujours  si prompts à s’en emparer et à lancer sur le sujet de pieux débats.

Tous les thèmes du malaise social sont abordés ici, avec vigueur, avec excès, mais toujours sur le registre du plausible. Ce qui se passe entre les murs , Laurent Cantet venait de le montrer. Mais les élèves étaient plus jeunes. Ici, ce sont des hommes, déjà, ou presque.

J’avoue n’avoir pas vu en Isabelle Adjani l’actrice mûrie qu’elle est devenue, c’est notre sort à tous, mais la conviction de ce qu’elle représente, à l’instar d’autres  personnalités en vue ou non  issues comme elle d’une immigration extra-européenne, d’efforts, de patience, de contrainte pour parvenir à cet état souverain de citoyen libre,  assumé et autonome.

Certains se gausseront d’une idée qui paraît aujourd’hui dérisoire : la jupe. Sans doute pas tous ceux qu’inquiète le poids des cultures sur le sort de tant de jeunes filles et qui se démènent pour y remédier.

Quant à la violence qui règne, elle fait la une des quotidiens et n’est, malheureusement, pas près de cesser. Molière n’y pourra pas grand chose. Mais le port d’uniforme dans les écoles pourrait peut-être, comme on l’a retrouvé il y a quelques années dans le Bronx et à Manhattan, et comme c’est l’usage un peu partout ailleurs, contribuer à calmer le jeu.

Le catholicisme n’a pas à satisfaire à l’hédonisme, et il n’est pas obligatoire !

Crucifixion de Saint-Pierre, F. Lippi, Florence, 1482
Crucifixion de Saint-Pierre, F. Lippi, Florence, 1482

Je serais tentée, comme ce cher Bruno Frappat, de laisser « glisser », devant la chute de tant d’outrance. Passe encore des medias qui ont pour seul penchant la sensation, le saignant, le conforme. C’est toujours par le bas qu’ils trouvent leur audience. Quant aux laïcs, qu’ils fassent après tout ce qu’ils veulent.

Mais quand des catholiques, tels M. Juppé, qui n’a pourtant pas été,  dans sa ville, exempt de soucis ecclésiaux, s’indigne à l’instar de tant d’autres cibles médiatiques de la prétendue position du Pape, je m’insurge.

Benoît XVI est villipendé comme l’est aujourd’hui toute forme de transcendance. Sa hauteur de vue, sa connaissance et son humanité avaient, semblait-il pourtant, fait l’unanimité lors de son dernier passage chez nous. Il est vrai que la ferveur impressionne ceux qu’elle n’atteint pas, qui la méprisent, par manque, sans doute. Ils n’ont de cesse d’en infirmer le sens, pour employer cet euphémisme.

C’est oublier que rien n’oblige. Rien n’est plus difficile que d’être catholique, de vivre au quotidien l’amour de l’autre, la tolérance et le pardon. Et la liberté qui va avec. Car le Chrétien, le catholique EST LIBRE, on ne le répètera jamais assez.

Le Pape est dans son rôle en rappelant sur quoi se fonde notre Eglise, sachant à qui, d’abord, il s’adresse. Ceux-là comprendront et sauront faire la part des choses. La part qu’ils font toujours.

L’hédonisme qui ravage nos sociétés se situe le plus souvent de chaque côté de la ceinture. Bien loin en tous les cas du siège de la Foi, de l’Espérance et de l’Amour qui nous transcendent  le coeur l’esprit et le corps, qui les accueille.

Il est heureux encore, qu’on nous rappelle à ces hauteurs dont tout le matérialisme ambiant nous invite sans cesse à descendre. De ce point de vue, Benoît XVI nous y invite. Libre à chacun d’y penser et de lui rendre grâce, ou pas. Mais alors, que cesse ce vacarme !

Réforme territoriale 2014 : pourquoi pas une nouvelle Province ?

J’ai toujours (ou presque) vécu en province et  n’ai jamais aimé le terme de « région ». Le découpage de nos Régions correspondait déjà assez peu à la culture de leurs territoires (le Bourbonnais est sans doute plus proche du Bourguignon que de l’ Auvergnat et l’Ardéchois   probablement assez éloigné du Savoyard  auquel il est rattaché. Question d’histoire, mais surtout de géographie.

Le Massif Central
Le Massif Central

Ce qu’on nous propose aujourd’hui représente pour certaines d’entre elles un quasi déni. Rattacher l’Auvergne à la déjà immense et puissante Rhône-Alpes, par exemple ; ou même encore, la rattacher au  Limousin, car on est encore sûr de rien. Peut-être dépecer le Poitou pour repeupler le Limousin et agrandir encore l’Aquitaine ? On n’en sait rien.

Il semble que M. Balladur (ou son comité) n’ait pas pensé un seul instant qu’il y avait, dans son projet, une opportunité, peut-être, de redistribuer des cartes jusque là assez mal données. Pourquoi pas, en rognant sur leurs alentours, créer enfin, comme une nouvelle province,  un large Massif Central qui est après tout le coeur de ce pays ?

Par les temps qui courent (et sont encore à venir), qui sait s’il ne sera pas plus agréable de vivre dans tous ces lieux aujourd’hui tranquilles et vastes où bien des gens pourraient trouver une douceur de vivre qu’ils ne trouveront jamais au sein des métropoles surpeuplées qu’on nous annonce de toute part comme l’avenir de nos sociétés ? Que savons-nous de cet avenir, d’ailleurs ?

Quoi qu’il en soit, il faudra « faire avec ».

Quant à la France, elle  est le plus souvent coupée en deux. Quel que soit le gouvernement en place, le projet, les résolutions, les dispositions qu’on leur propose, il y a toujours ches les Français, à parts quasiment égales,  ceux qui sont pour, et ceux qui sont contre. Sauf si demain, et pour de vrai, on rasait gratis. Là, tous les Français,  enfin,  seraient d’accord.

L’Histoire en série-télé : retour en beauté sur le Passé, composeur d’identité

Muraille de Chine (Empereur Qin)
Muraille de Chine (Empereur Qin)

J’ai beaucoup, souvent, voyagé en Chine. Il m’est arrivé, certains soirs, d’y regarder la télévision. Chinoise, bien sûr. On pouvait y suivre, par séries successives, l’histoire de la Chine dans ce qu’elle avait de plus impérial, cotoyant, comme en piqûre de rappel, celle de sa Révolution, dans ce qu’elle eut de moins délétère. J’avais été frappée alors,  cela fait tout juste dix ans, par la fierté nationale dont avaient témoignés devant moi de jeunes et brillants cadres chinois -diplômés d’universités étrangères, anglaises ou américaines-, vis à vis de leur pays à qui ils accordaient d’emblée tous les succès.

C’était à Shanghaï, où l’on venait d’inaugurer le nouvel Opéra réalisé par un architecte français. Ils s’acharnaient à prétendre que l’architecte était chinois. Je n’ai pas insisté plus longuement, lassée par leurs certitudes  et pressée par mon emploi du temps. C’est seulement  après coup- devant un autre épisode de la même série TV- que j’ai constaté combien est insidieux le spectacle (didactique) qu’un Etat veut donner de lui même  au plus grand nombre de ses ressortissants, mais parfois même au monde entier, pour forger, ou réincarner, leur identité.

Notre télévision nationale revient depuis quelque temps sur le sujet de notre Histoire avec la série « Ce jour-là, tout a changé » commencée par celle, bien menée,  de l’assassinat d’Henri IV.

Versailles
Versailles

Cette Nuit de Varennes, montrée l’autre soir, avait tout de même de quoi surprendre les spectateurs ignorants des travaux récents ou limités, pour les plus âgés,  aux leçons d’histoire déjà fort anciennes de leur lointaine jeunesse.

Qu’il était donc avenant, ce jeune Roi de trente quatre ans, pétri de culture et de modernité, d’amour pour son pays,  (pour sa femme aussi, ce que l’on savait, qui n’était même pas infidèle, ce dont on nous a longtemps fait douter), qui avait encouragé et soutenu la révolution américaine et qui ne rêvait que de science, de découvertes et de paix ! Qu’il était loin de ce portrait infâme de lâche goûlu, aboulique, apathique et quasiment obèse qu’on nous en avait si longtemps dressé !

Au moins aura-t-on pris la peine, ici, de s’inspirer des travaux d’un historien sérieux qui a pris le temps (pas moins de sept ans et près de mille pages) pour établir une biographie minutieuse du souverain tant décrié dans nos livres d’histoire et finalement martyr de la  Terreur.

Il nous aura fallu deux cents ans  pour convenir que Louis XVI et sa famille ne méritaient peut-être  pas leur sort. C’est bien long pour une Terreur qui ne dura, et heureusement,  que deux terribles années, et nous marqua du sceau indélébile de peuple révolutionnaire, libérateur mais aussi régicide. Il en a fallu moins de vingt aux Russes,  écrasés pendant soixante dix ans sous le joug soviétique et totalitaire,  pour réhabiliter leur famille impériale  si proche, dans le fond et la forme, de ce que fut notre famille Capet.

On ne parvient jamais très longtemps à « faire du passé table rase ». Il forge nos identités,  autant que nos différences et toutes nos contradictions.

Le refus de croissance, un luxe impossible pour ceux qui n’ont rien

Ce qui fut,  depuis au moins quarante ans, une mode limitée à quelques groupuscules de contrôler voire  rejeter  toute forme abusive de Consommation,  serait en passe de devenir un modèle de comportement pour des tranches de plus en plus étendues de Français, et pas seulement.

Hierarchie des besoins humains, dite Pyramide de Maslow
Hierarchie des besoins humains (Pyramide de Maslow)

Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, en temps de crise- et celle que nous n’avons pas encore fini de vivre promet d’être assez fameuse – « l’objection de croissance » ne concerne que les mieux nantis. J’ai encore à l’esprit ce vieux souvenir, la fameuse pyramide de Maslow qui définit,  en quelque sorte, la gradation des besoins humains.

L’impact de l’Ecologie, (suivant Haeckel) indépendamment des enjeux politiques qu’elle représente et dont je me garderai bien de parler ici, a tout de même fini par se faire sentir comme en témoigne le récent rapport Mc Kinsey.  Je ne peux que m’en réjouir, n’ayant jamais été moi-meme adepte ni usager de toutes sortes de gaspillages.

Gaspillage est le terme le plus approprié pour définir la plupart de nos comportements pendant les cinq dernières décennies, en terme de consommation d’énergies, de matières ou d’objets et certainement plus encore de potentiels humains. Mais en revenir,  comme cela semble être en cours aujourd’hui signifie aussi en avoir déjà largemet profité.

Je ne peux donc m’empêcher de penser ici à ceux qui, au bas de l’échelle, ont toujours faim,  n’ont pas d’eau (et moins encore courante) ni même de lieu fixe  et surtout  paisible où ils pourraient tenter de vivre, fût-ce seulement sur leur propre modèle, celui d’une culture qui ne sera jamais la nôtre. Certains sont déjà dans ce cas chez nous, je les évoqués  ici. Ils ne demanderaient pas mieux, certains d’entre eux du moins, que de pouvoir  « consommer » ne fût-ce que a minima.

Comme le chantait Léo Ferré il y a si longtemps déjà, « les temps sont difficiles…. ». C’était à l’époque où la Chine, une grande partie de l’Inde dormaient encore.  Si pour elles  les temps sont devenus et deviendront encore (probablement)  meilleurs, c’est bien à leur croissance qu’elles le doivent.  C’est généralement le cas de tous les pays qui peuvent offrir à la plus grande partie de leurs habitants un certain niveau de bien-être et de prospérité qui ne s’épanouissent à terme que dans la paix et un certain nombre de libertés.

Si le tropisme exercé sur le monde par l’Orient est en voie de supplanter celui de l’Occident,  il me semble (bien modestement) beaucoup plus opportun de modifier notre type de croissance que de souscrire à son refus.  Les conséquences n’en paraissent que trop évidentes. en tous cas pour nous.

Vénus & Apollon (2) sur Arte, n’oubliez pas de coucher les enfants

Tonie Marshall, qui a pu ajouter à son talent un gros budget,  ne nous épargne ici rien de ces petites turpitudes qui ont la faveur des « publics » : gravelle, fraude, crime, vengeance, violence, sexe à tous les niveaux et, last but not least, une incroyable perversité. Ces ingrédients, finalement communs à  toutes séries B,  sont traités ici une qualité (scenario et excellence de jeu des acteurs) qui rendent son impact d’autant plus redoutable.

Hermaphrodit endormi, G.Bernini (Louvre)
Hermaphrodite endormi, G.Bernini (Louvre)

Car on se laisse prendre à une intrigue qui, quoique récurrente, fait assez date pour figurer chez Wikipedia, au même titre que ‘autres séries d’Outre-Atlantique que je ne citerai pas ici. Cette saison a nous dit-ont été conçue de la même manière. Pour le même résultat ?

Certes, on ne verra ici qu’un aperçu sociétal assez limité à un environnement précis, mais qui en fin de compte relie entre elles des couches de notre société bien plus diverses qu’il n’y paraît. Ce qui se passe là (à Paris) peut se passer ailleurs, dans l’indifférence la plus totale. N’y aurait-il  plus guère, aujourd’hui, que des intégristes pour s’offusquer de l’état (exhibé) de certaines moeurs ? Qu’en pensent les parents ?

Alors que l’on ne parle que de protection de l’enfance, il serait peut-être opportun de se demander pourquoi cette série, à l’instar de celles qui animent les écrans plus visibles d’autres chaînes aux mêmes heures de grande écoute, n’est pas elle aussi affublée en bas  d’écran de la mention habituelle du CSA.

-10 (moins de 10 ans) en limiterait peut-être certains dégâts.

A moins qu’il ne soit trop tard,  et depuis bien longtemps déjà.

L’analyse sociologique du monde comme incitation au désespoir

L’analyse percutante livrée aux dernières Etudes par l’éminent sociologue Jean-Pierre Legoff sur Le fil rompu des générations m’invite tout naturellement à une sorte de réponse sur son son triste constat.

réunion de famille, 2007
quatre générations d'une belle famille réunie

Nous avons  en commun au moins notre âge et  l’histoire de notre génération. Certainement pas le même bilan. Je n’ai fait ni les mêmes études, ni suivi le même chemin,  sans m’être pour autant jamais égarée dans d’autres voies que celles, ardues,  du questionnement. Y compris celui du A quoi bon ?

La sociologie, inventée il y a plus d’un siècle au coeur d’une société  minoritairement prospère a eu depuis lors pour objet de brosser le portrait chiffré du fait social , et d’en mesurer les effets à l’attention des gouvernants.

La pratique religieuse, le mode alimentaire, le suicide par exemple, sont autant de faits sociaux. De même que les employés, les cadres, les retraités ou les moins de vingt ans en sont autant de groupes. Cela n’est pas en soi d’une grande nouveauté : Démosthène ou Cicéron savaient très bien déjà ce qu’était leur société et de combien de divisions ils disposaient. La nouveauté  réside, depuis plus d’un siècle, dans l’objectif même de cette science sociale. Celui,  louable,   d’éclairer  leurs dirigeants sur les maux de nos sociétés pour qu’ils y portent des remèdes.

Il semble pourtant, à l’aune de tout ce  l’on voit, lit,  et entend, que rien jamais n’aille vraiment comme il faut. On nous sert à tout propos une vision quasi désespérante du monde.

Dans les études sociologiques, tout est en fin de compte terriblement relatif.  Nous sommes aujourd’hui éclairés sur la plupart de nos comportements, de nos modes de vie, de consommation, de pensée, même. Mais est-ce bien nous ? Est-ce bien moi ? En termes de communauté, sans doute. De marketing, assurément. En terme individuel, certainement pas.

Ce que M. Le Goff met en lumière, cette rupture, voire cette vision citée par lui des Libres enfants de Summerhill (1) qui semble opérationnelle aujourd’hui, tout cela, au fond, ne me convainc pas vraiment. C’est faire fi, me semble-t-il, de cette capacité quasi reptilienne des hommes de chaque époque à inventer le monde ou, pour quelques-uns, à le réenchanter.

Une des constantes de l’Humanité est qu’il se trouvera toujours en son sein une minorité d’hommes éveillés, animés d’une Foi quelconque en la Vie et en l’Esprit de l’Homme et capables de drainer assez de force et d’énergie pour en assurer la vigueur, la complétude et l’épanouissement.

Il y a heureusement encore, et il y aura probablement toujours, autour de nous,  beaucoup de talents,  et de merveilleux jeunes gens de trente ou même quarante ans.

Nous avons, à soixante ans et bien au-delà, un regard sur le monde qui sera toujours celui de notre génération, de nos incertitudes, des succès  et des ratés de notre propre histoire. A nous de ne pas entraver le cours de l’éternelle Espérance nécessaire à tous  ceux qui nous suivent et n’ont pas, du moins pas encore, fait l’expérience de nos jours. Celle-là viendra à son tour.

(1)  « Un jour, les jeunes n’accepteront plus la religion et les mythes désuets d’aujourd’hui. quand la nouvelle religion viendra, elle réfutera l’idée que l’homme est né dans le péché. Elle louera Dieu en rendant les hommes heureux. La nouvelle religion réfutera l’antithèse du corps et de l’esprit, ainsi que la culpabilité de la chair. Elle saura qu’un dimanche matin passé à se baigner est plus sacré qu’un dimanche matin à chanter des cantiques- comme si Dieu avait besoin de cantiques pour se satisfaire. Une nouvelle religion trouvera Dieu dans les prés et non pas dans les cieux. Imaginez un moment tout ce qui pourrait être accompli si dix pour-cent seulement des heures passées en prières et en visites à l’église étaient consacrés aux bonnes actions, à la charité et à l’aide au prochain ?« 

Alexandre S. Neill, Libres enfants de Summerhill, Maspéro, 1970, p.216 – Cité par Jean-Pierre Legoff in Le fil rompu des générations, Etudes, février 2009, pp.175-186